Livres plus chers vendus en ligne : une faveur pour les libraires ?

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Written By Vincent Bourdieu

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Benoît Bougerol, ancien président du Syndicat de la Librairie Française a déclaré à ActuaLitté : « C’est l’aboutissement d’un long combat initié par les actions en justice que j’ai menées en 2008 auprès du SLF contre le dumping et la vente à perte de port gratuit. Cependant, il souhaite que La Poste « présente une offre claire et simple pour que l’envoi d’un livre coûte moins cher que le Colissimo actuel, notamment pour les petits livres comme les livres de poche ».

Le SLF se bat depuis des années, cette fin de la gratuité amène ipso facto un prix final plus élevé pour le client. Que les internautes n’aiment pas payer ces sommes est une chose, que les colis, les frais de traitement logistique et d’expédition – dont l’essentiel… – soient gratuits, c’était une incohérence totale. Et encore…

Pour l’ancien libraire, le travail des parlementaires qui ont adopté la loi Darcos a servi la défense « de la culture, et la diffusion des livres, partout sur le territoire et pour tout le monde. Seul un tissu de librairies et nos villes permettent l’accès aux livres avec des conseils. et un choix proche de tous les lecteurs, à l’image du tissu des bibliothèques.

Cependant, et il est d’accord avec le syndicat sur ce point, la demande qui a été faite était d’environ 4 € voire 5 €. Une somme « qui aurait été plus juste quand on sait qu’un Colissimo (pour les marchandises, c’est le cas pour un livre vendu) coûte plus de 7 euros, que l’emballage coûte plus d’un euro, et que l’employé concerné aussi, humble , payé ».

“You shall not pass”

Le SLF, de son côté, ne s’appuie pas sur les propos : « Le compte n’y est pas », tire le syndicat patronal, pour qui l’esprit de la loi Darcos, – « Rééquilibrer les conditions de concurrence sur le marché de la livraison de livres et ainsi les libraires peuvent développer leur présence sur Internet  » – tombe à l’eau. La décision de l’Arcep, d’un seuil de 3 € à 35 € – au-delà duquel seul un montant de 0,01 € sera facturé, donc l’ancien droit -faux pourboire – l’entreprise continuera de vendre à perte à la librairie.

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« La perte nette est en moyenne de 3 euros lors de l’envoi d’un livre papier, entre 2,50 et 3,50 euros pour un livre grand format, 3 euros pour une BD et plus de 8 euros pour deux bandes de BD ou un artbook moyen format » , analyse le SLF. En effet, « la majorité des internautes sont des citadins aisés qui ont une ou plusieurs librairie(s) à proximité », insiste le communiqué.

Une victoire pour la culture du gratuit, malgré «  »la logique du prix unique du livre », car toute remise « casse l’équilibre concurrentiel entre les distributeurs ».

Et il n’est pas habituel de se tourner vers les pouvoirs publics pour qu’ils se rendent au poste. Le projet SLF, qui regroupe environ 700 librairies sur le territoire, consiste « pour les libraires à bénéficier d’un tarif d’expédition plus avantageux, qui, combiné aux seuils minimaux, leur permettra d’être enfin compétitifs par rapport aux grandes plateformes en ligne ». .

Un équilibre atteint

La cloche ne sonne pas à l’unisson avec le SLF, du côté des Valois et de Bercy. Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et Rima Abdul-Malak, de la Culture, accueillent et acceptent avec une certaine facilité la proposition de l’Arcep. Selon eux, l’offre de 3€ « généralement appliquée à la livraison d’autres produits n’apparaît pas dissuasive pour les acheteurs ».

Semblable à celui de 35€ d’achats qui, une fois atteint, bascule au prix de 0,01€ «  favorise le regroupement des commandes, un geste vertueux en matière de transition écologique ».

Bref, à l’issue de la consultation publique, la décision de l’Arcep permet « un équilibre entre l’atteinte de l’objectif du législateur et le maintien du marché du livre ». La France dispose désormais de plusieurs procédures administratives au niveau européen. Une notification sera faite prochainement pour présenter un projet de décret pour avis. « S’il est délivré, le prix minimum entrera en vigueur dans les 6 mois suivant sa publication. »

Demi-victoire, demi-échec

Cyril Olivier, président-directeur général de Nosoli Group (Furet du Nord/Decitre), estime que « toute disposition gouvernementale visant à la régulation et à la justice du marché du livre est la bienvenue à nos yeux ». La démarche de l’Arcep visait donc cette ambition, « notamment en incluant l’iniquité des formules d’abonnement qui absorbent les frais de port ».

Pourtant, le résultat de la librairie débouche sur «  une demi-victoire. Donc un demi-échec », assure-t-il. « En fait, au lieu de discuter d’un seuil de gratuité (15 € ? 25 ? 35 ?), le maintien des 0,01 € – livraison de facto gratuite – ne régule pas la concurrence entre certains acteurs et la majorité des libraires. »

Et pour donner raison au SLF, on souligne que les carnets « doivent être accompagnés par le gouvernement dans ses négociations avec la poste pour porter un affranchissement à 3 € ».

Internet préservé

Thomas Jacquart, fondateur de BDfugue.com, notait pour sa part qu’avec des honoraires de 3 € «  L’autorité évite l’écueil que nous, vendeurs en ligne, craignons, à savoir qu’Internet n’est qu’un support de ventes de seconde main ». ou des livres épuisés, vendus à des prix fous  ». La librairie en ligne voit dans la proposition « une victoire totale, car Amazon doit s’aligner sur tous les sites ».

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Il garde cependant à l’esprit que le montant final « maintient une vraie pression sur les coûts : 3 €, c’est bien en deçà de ce que représente l’envoi d’un colis – en comptant le carton, l’intervention humaine, les frais de port ».

Bien sûr, personne n’est dupe : forcer Amazon à calculer les frais de port augmentera la marge du e-commerçant – tout comme la loi Lang, en son temps, a contraint son défenseur, Michel Édouard Leclerc, à arrêter ses remises systématiques. Et donc, gagner plus d’argent.

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Pourtant, un observateur inquiet insiste sur son anonymat : « C’est une grave erreur considérant que les personnes qui commandent des livres sur Amazon font majoritairement partie des classes supérieures urbaines. Cela ne les ralentira en rien, mais augmentera durablement les marges d’Amazon. !

L’effet inflationniste

Depuis plusieurs années, le vendeur américain a réalisé un classement des villes françaises où il avait le plus grand nombre d’acheteurs de livres. Sans surprise, Paris occupait la première place entre 2012 et 2016 – date après laquelle Amazon a cessé de produire cette liste. Cependant, elle le suit dans d’autres pays européens, et, pour prendre l’exemple de l’Italie, Milan était toujours en tête pour 2022, suivi de Rome. Pas vraiment des zones rurales.

Pourtant, Frédéric Duval, directeur général de la filiale française, dans un communiqué désormais introuvable, a défendu le rôle d’intérêt général des émissions gratuites. Et présentant des chiffres très contradictoires au regard des estimations du SLF.

Ainsi « 45% des Français qui achètent des livres en ligne le font à cause de l’éloignement des points de vente physiques. Cette proportion atteint même 81% dans les communes rurales », certifie Amazon. Mieux encore, « plus de la moitié des livres achetés sur Amazon le sont par des habitants de communes de moins de 10.000 habitants, et plus d’un quart par des habitants de communes de moins de 2.000 habitants ».

Contacté par ActuaLitté, Amazon indique que « l’instauration d’un tarif minimum d’expédition aurait un effet inflationniste important, induirait une augmentation du coût d’achat des livres vendus en ligne et affecterait le pouvoir d’achat des lecteurs – et plus particulièrement ceux, qui sont loin de points de vente physiques en direct et n’ont pas d’alternative ».

Des alternatives écartées ?

L’e-commerçant rappelle également sa position, déjà évoquée, de proposer une solution basée sur le tarif des livres et brochures, appliqué aux ventes à l’étranger. « Des alternatives existent qui ne pénalisent ni la lecture ni le pouvoir d’achat des Français, par exemple la création d’une taxe postale spéciale, comme il en existe pour l’envoi de livres à l’étranger : un livre de 500 grammes à Londres l’envoi coûte 1,49 €, alors que l’envoi vers une adresse française coûte quatre fois plus cher, soit 6 € », nous précise l’entreprise, en référence à sa contribution à la consultation de l’Arcep.

Par ailleurs, la concentration des librairies dans les grandes villes est mise en évidence : « Paris intra-muros aurait donc plus de 20 % de l’ensemble des librairies françaises, pour seulement 3 % de la population, et plus de 90 % des quelque 35 000 communes que les Français n’ont pas. une librairie leur territoire. »

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Pourtant, 45% des Français « qui achètent des livres en ligne le font à cause de l’éloignement des points de vente physiques selon une étude Ifop 2021 », note la filiale américaine. Avec une conclusion simple : « Si un prix minimum de 3 € était appliqué, les lecteurs seraient confrontés à une alternative simple : renoncer à certains de leurs achats de livres et donc moins lire – ce que font 25% des sondés de l’Ifop – ou au contraire entraîner des frais supplémentaires conséquents, soit en déboursant 3 € supplémentaires à chaque achat de livre, soit en prenant leur voiture pour se rendre aux livres. »

Et de se référer au courrier qui a été communiqué à l’Arcep, disponible à cette adresse.

La voie royale à l’occasion 

Le risque de voir le marché de l’occasion exploser reste cependant réel. « C’est une loi ProMomox. Pourquoi ? La plateforme est en Allemagne, elle ne sera pas restreinte a priori par la loi française et les frais de port s’appliquent déjà  », explique un éditeur. « Voilà donc une législation qui devrait protéger les libraires et qui seront les deux premiers à en bénéficier ? Amazon et Momox. Champion du monde le SLF et le ministère ! »

A l’heure où l’idée d’une taxe sur la vente de livres d’occasion – et justement contre quoi Momox se rebelle – peut-être certains reverront-ils leur jugement… L’idée, qui à l’époque du président de le Centre national du livre, Vincent Monadé, est rejeté par le Syndicat national de l’édition, pour qui l’idée est mauvaise.

Rappelons que La Sofia mène actuellement une importante étude sur l’ampleur réelle de ce commerce. Une enquête qui donne au moins une vision vraie, débarrassée des fantasmes et des contrevérités.

Crédits photos : ActuaLitté, CC BY SA 2.0